< retour Poésie
De tes couleurs jaillit mon corps
de mes contours ton désaccord
et de tes petits-gris l'esquisse
Je m'accroche au chevalet
je prends des teintes à tes godets
je prends la pose
je prends des coups qui m'ankylosent
et des nuances qui me bleuissent
Peins-moi des formes
fais-moi l'armure
fais-moi conforme
peins-moi l'épure
fais-moi ton argument
peins-moi comme tu l'entends
Je ne t'appartiens pas
je ne t'appartiens pas
J'ai beau le concevoir j'ai beau
être le fruit de ton tableau
et faire les frais de tes caprices
Je ne t'appartiens pas
Ta palette peut y passer
tes pots tes tubes j'y suis sujet
ta pantomime
c'est à tes souhaits que tu t'escrimes
mais c'est l'ouvrage que tu décimes
J'ai beau le concevoir j'ai beau
être le fruit de ton tableau
et faire les frais de tes caprices
ça n'est pas moi que l'on verra
les faux regards seront pour toi
Peins-moi des formes
fais-moi l'armure
fais-moi conforme
peins-moi l'épure
fais-moi ton argument
peins-moi viens je t'attends
Je ne t'appartiens pas
je ne t'appartiens pas
J'en suis fort aise.
©Franz Alias
Un tissu qu'on déchire
un caillot dans le coeur
la chute d'un empire
l'air qui manque au plongeur
c'est à n'y rien comprendre
Tourner cent fois la scène
chercher dans la boisson
est-ce que ça vaut la peine
tourner quand on est rond
c'est à n'y rien comprendre
Un brouillard au couteau
un bateau qui chavire
et les points cardinaux
ont quitté le navire
c'est à n'y rien comprendre
Un tissu qu'on déchire
un caillot dans le coeur
comment puis-je mieux dire
toi par là Moi ailleurs
c'est à n'y rien comprendre.
©Franz Alias
Retiens la date
profite de cet instant
remplis tes poches de ce chagrin
pour quand tu traîneras ta patte
tu pourras
toujours te dire
que le pire
il était ce jour-là
Alors c’est tout ?
quelques poignées de larmes
une ivresse épuisée
un roulis court dans la cadence
et déjà tout est sec
tout est bien consumé
la douleur a perdu son charme
Demain sans doute
tu trouveras de quoi
mettre en scène ta souffrance
tu trouveras
un détail oublié
un souvenir qui se balance
et tu pourras pleurer
Demain
dans quelques heures
tu feras l’inventaire
tu sais bien que tu peux
mieux faire.
©Franz Alias
Elle est arrivée dans la soirée
vingt heure trente ou quinze
mais peu importe
jeté les escarpins
sur la moquette
j'attendais depuis trois heures
j'avais fouillé partout
fumé
la chambre
elle était non-fumeurs
pas elle
elle a fermé la porte
comme si de rien
j'ai pas ouvert ma gueule
monté le transistor
fait table rase
fait de la place
là
ne sois pas si
ne sois pas si
elle est arrivée à point nommé
vingt heure trente ou quinze
mais peu importe
j'étais déjà trop loin
sous la moquette
j'attendais depuis ce temps
j'avais fouillé partout
trouvé
la chambre
elle était toujours libre
pas elle
il faut que tu t'en sortes
comme si de rien
il faudra bien qu'elle rentre
que je brûle son corps
que je l'embrase
que je l'embrasse
là
ne sois pas si
ne sois pas si.
©Franz Alias
J'ai fait valser les draps
j'ai fait
le tour de la question autour du lit
j'ai fait
comme si
mes mains
n'avaient pas vu le mur
remis de l'ordre
tapé le traversin
tiré la couverture à soi
si tu crois la couverture
que tu vas t'en tirer comme ça
si tu crois ça mon vieux
allez dors
c'est ici que ça se passe
c'est ici que ça se passe
j'ai fait comme on fait croire
j'ai fait
et j'ai défait J'ai fait ce que j'ai pu
j'ai fait
comme si
je ne
savais pas la mesure
revu l'envers
estimé l'à rebours
fermé les yeux
si seulement les yeux
vous pouviez la fermer un peu
tu te verrais mon vieux
allez dors
c'est ici que ça se passe
c'est ici que ça se passe
On n'oublie pas
on s'acclimate.
©Franz Alias
Seul dans les toilettes des mâles
j’avais des poches sous les yeux
les traits tirés et le teint pâle
les mains sur le lavabo sale
je crachais dans le siphon creux
une symphonie gutturale
Je suis retourné dans la salle
le barman avait l’air furieux
afin d’échapper à ses râles
on a troqué pour deux cents balles
l’épais brouillard du bar fumeux
pour celui de la capitale
Quand la nuit fraîche a sur les berges
mis son tapis de givre
quand les étoiles sont des cierges
dieu qu’il est bon de vivre
les mains dans l’eau froide on s’asperge
pour peu que l’on soit ivre
Je suis allé chanter victoire
au milieu du pont suspendu
– pourquoi l’eau est-elle si noire
– c’est la Scène et non pas la Loire
debout sur le bollard ventru
et bavant m’as-tu répondu
Alors il s’est mis à pleuvoir
on a gueulé tant qu’on a pu
en injuriant cet arrosoir
tu ne m’as pas dit au-revoir
au bord tu m’as dit – Oh j’ai chu
et je ne t’ai plus jamais vu
Quand la nuit fraîche a sur les berges
mis son tapis de givre
quand les étoiles sont des cierges
quand on veut les poursuivre
dans l’eau glacée le corps s’immerge
pour peu que l’on soit ivre
©Franz Alias
Au bar de nuit du Terminus
la serveuse avait des chéries
et quand venait un nouveau gus
les poivrots levaient leur demi
demandaient qu'il soit mieux rempli
et gueulaient en chœur « un de plus ! »
Moi j'entendais partir les trains
comme on entend partir les trains
quand on est là devant sa tasse
en attendant qu'un truc se passe
mais au Terminus c'est en vain
qu'on attend qu'un train vous ramasse
Si je suis en avance
vous êtes en retard
si vous avez la chance
de croiser mon regard
j'aurai la convenance
de vous laisser m'avoir
Au bar de nuit du Terminus
les poivrots chantaient la romance
c'était pas du stradivarius
c'était pour réchauffer l'ambiance
montrer que la désespérance
l'est moins quand elle est en chorus
Moi je regardais le comptoir
je regardais l'homme au comptoir
je n'ai pas terminé ma tasse
moi j'ai bousculé ma carcasse
comme on voudrait parfois savoir
de quel poids on se débarrasse
Si je suis en retard
vous êtes en partance
si j'en ai le cafard
c'est que je sais d'avance
qu'il est toujours trop tard
que rien ne recommence
Monsieur c'est pour vous que je viens
tous les soirs ici dans ce bar
c'est pour vous voir me voir enfin
quand je suis trop... Quand il est tard
vous qui restez près du comptoir
qui jamais ne... Qui jamais rien...
Mais au Terminus c'est en vain
qu'on attend qu'un train vous ramasse
il est parti encor plus loin
il m'a laissée devant ma tasse
il est parti prendre le train
et moi, ben moi... J'ai bu la tasse.
©Franz Alias
Les lendemains qui brillent
l'éveil de l'eau qui dort
les rochers qui vacillent
sous la poussée
c'est le dernier espoir
des chercheurs d'or
combien de kilomètres
combien de route encore
pour l'inviter un soir
à passer la fenêtre
C'est pour demain
peut-être
Tenir jusqu'à l'aurore
passer la forteresse
t'offrir comme un trésor
de la rosée
c'est pour te faire éclore
c'est ma promesse
semer semer encore
demain toujours remettre
graver dans ton écorce
mes paramètres
C'est pour demain
peut-être.
©Franz Alias
Gare à la métamorphose
je ne suis pas certain
de maîtriser grand-chose
c'est à portée de main
je veux l'extase que tu proposes
Ma dose, et j'ai ma part de l'ange
et j'ai ma part de l'ange
Rends-moi ce qu'on m'a pris
rends-moi mieux ce que je suis
Gare à la contre-expertise
il n'est pas conseillé
de fouiller mes valises
peu à peu je perds pied
je sens que je me déshumanise
Ma dose, et j'ai ma part de l'ange
et j'ai ma part de l'ange
Rends-moi tout ce mépris
rends-moi mieux ce que je fuis
Ma dose, ma dose qui te ressemble
quand tu me caresses
je change d'espèce
et nos âmes se rassemblent
un feu de détresse
une lueur dans l'ombre
une fleur sous les décombres
oh... je nous laisse
à nos ivresses...
©Franz Alias
Embrasse Emma
embrasse-la de ta part
fais ce que je ne ferai pas
dis-moi si elle s'amuse
dis-moi comment fait-elle
dis-moi qu'elle ne pense plus à moi
Pose un peu ta main sur sa joue
ton bras autour de son épaule
tous les jours surtout dis-toi bien
que le malheur des uns
que le malheur des uns
Embrasse Emma
autant que j'aurais pu le faire
si j'avais su
donne-moi sinon la permission
de vous écrire de temps en temps
bons baisers de Ronda
ici le temps ça va
Prends soin de ses silences
prends tout ce qu'elle te donne
mais si jamais ta main
ton oreille sur son ventre
ne m'en dis rien
ne m'en dis rien.
©Franz Alias
Après toi
le manche et la cognée
et le déluge
après toi
où trouver le refuge
je n'en ai pas la moindre idée
Après toi
c'est l'être ce néant
c'est la vie antérieure
un trou béant
un leurre
après toi
je pleure
Après quoi
accrocher la cordée
à quelle branche
d'après toi
la vie est-elle étanche
je n'en ai pas la moindre idée
Après toi
c'est garder l'adhérence
c'est un compte à rebours
une évidence
toujours
après toi
je cours.
©Franz Alias
On a attelé la voiture
mis l'avoine dans le réservoir
puisque nous n'avons plus d'allure
nous prendrons le mors dès ce soir
Il était trois heures du matin
trois heures c'est tard mais peu importe
du moment qu'on a fait le plein
on peut toujours claquer la porte
Et même si tout est morose
un bol d'air ça n'est pas grand-chose
Il fallait quitter à tout prix
cette grisaille parisienne
se défaire de notre apathie
qui devenait trop quotidienne
il nous fallait une échappée
pour voir si l'âme était atteinte
pour voir sur la plage mouillée
si nos pas laissaient une empreinte
Et même si tout est morose
un bol d'air ça n'est pas grand-chose
On a mis les bouts vers l'ouest
passé Evreux Nationale treize
à Lisieux tu as mis ta veste
à Deauville j'ai pris la falaise
Là on s'en est mis plein la tronche
en ouvrant les bras et la bouche
de l'iode a savonné nos bronches
et les embruns ont fait la douche
Et même si tout est morose
un bol d'air ça n'est pas grand-chose
On s'est dit faut qu'on accumule
et tel le sable au fond des poches
on a mis du vent sous les pulls
et l'horizon dans la caboche
Il nous a fallu la journée
pour nous vidanger les poumons
après bien sûr on est rentrés
il faut bien se faire une raison
Et même si tout est morose
un bol d'air ça n'est pas grand-chose
un bol d'air ça n'est pas grand-chose
un peu plus que l'on ne suppose.
©Franz Alias
Chacun ses valises
chacun sa part
de mirages et de camisoles
quand on prend la route on sait
ce qu'on nous donne
et ce qu'on vole
tu prends le symbole
pour un départ
tu prends l'appel pour un envol
l'espérance c'est comme une main sur ton épaule
Nous irons vers l'ouest
et en chemin
nous saurons bien lâcher du lest
quand on prend la route on voit
ce qu'on parcourt
et ce qui reste
De l'or à la pelle
et de nos mains
nous forcerons la citadelle
décrocher la lune est une question d'échelle
Si nous la parcourons la route
avec l'espoir de voir l'Eldorado
nous n'irons pas bien loin
si tu viens partager ma route
avec toi je suis sûr l'Eldorado
de le tenir dans la main
Si pour passer des murs
on doit briser des murs
je ferai ce qu'il faut
l'Eldorado
S'il faut toujours se battre
et bien j'irai me battre
alors j'aurai ta peau
l'Eldorado
Viens rouler ta bille
viens avec moi
allons user nos espadrilles
quand on prend la route à deux
c'est le bonheur
qu'on déshabille
Ouvre-moi la grille
j'ai fait mon choix
je ne veux plus ce qui scintille
le trésor c'est l'or qui brille dans tes pupilles
S'il faut toujours se battre
et bien j'irai me battre
alors j'aurai ta peau
l'Eldorado.
©Franz Alias
Oh si tu savais mon ange
par quels états je passe
quand tu dors
si tu voyais
celui qui t'accompagne
n'est pas fort
il m'aurait plu
ton aide
et le temps passe et passe encore
ce temps perdu
toi le vois-tu mon ange
il m'aurait plus que tu me pousses
qu'à cette atonie la secousse
et cette vie de tous les jours
mon ange
eut-elle été moins triste
dans une vie d'artiste
mais tu ne me veux pas mon ange
cette toile une amante
ce pinceau un amour
ces liens vers qui tu ne sais qui se tissent
tandis que les jours raccourcissent
et dont tu ne vois pas l'issue
mais ce temps qu'il te semble à perdre
n'est pas le mien
ou ne l'est plus.
©Franz Alias
Il suffit d'un malentendu
d'un mot qui n'est pas retenu
et ce corps qu'on a tant tenu
s'envole s'envole
il suffit peu si l'on y pense
et dans l'étendue tant immense
la mégapole
elle était brune et un peu forte
et quand sur nous fermée la porte
il se peut qu'il m'ait plu
de nous revoir tout nus
il se peut que je me sois dit en passant
Où est ma place dans le cosmos
et plus près
est-elle ici
et plus près
est-ce dans ce lit
Il suffit que l'on y repense
l'histoire ancienne qui n'en finit
la nouvelle à peine qui commence
et l'on se dit que ça suffit
il était tard elles étaient deux
je me suis trouvé au milieu
t'as qu'à dormir ici
alors on a dormi
il se peut que je me sois dit en passant
Où est ma place dans le cosmos
Il suffit d'une ressemblance
une carence que l'on remplit
un point commun Une attirance
un artifice qui ne suffit
Elle était belle et asiatique
son habitat microscopique
et le futon à terre
écrasait mes lombaires
il se peut que je me sois dit en passant
Où est ma place dans le cosmos
Il suffit d'un sourire osé
un regard qui semble un baiser
l'épiderme à peine effleuré
un jeu de rôle
Il suffit d'une intonation
un mot de trop Une profusion
et l'évidence de la présence
s'envole s'envole.
©Franz Alias
Elle a de jolis yeux
de jolis doigts de pied
son corps est une aire de jeux
mais j'ai cette pensée
Elle attend que je vienne
sourit dans je m'assieds
elle a fait de ma vie la sienne
mais j'ai cette pensée
Elle est comme on la rêve
et propre et parfumée
elle me dit que je suis sa sève
mais j'ai cette pensée
Mais j'ai cette pensée
que je ne peux combattre
c'est celle du macchabée
dans son amphithéâtre
Ah c'qu'on s'emmerde ici
merdissi
merdissi
tsoin
tsoin.
©Franz Alias
Depuis on voit la vie partout
et le soleil comme un cadeau
depuis la douleur se dissout
les prisons n'ont plus de barreaux
depuis la nature est si belle
plus belle encor de jour en jour
et la folie n'est plus rebelle
depuis que l'on a un amour
Depuis les matins sont plus tôt
et les métros plus supportables
on met des fleurs dans tous les pots
et les voisins deviennent aimables
depuis on vient voir les malades
on a du temps pour les détours
l'eau sur le corps n'est jamais froide
depuis que l'on a un amour
Depuis les jours semblent plus longs
les idées des hommes sont moins sales
on se retourne pour dire pardon
et les regrets ne font plus mal
depuis on oublie tant de peines
on met les vieux dans du velours
c'est aux enfants qu'on donne les rênes
depuis que l'on a un amour
Depuis la rancœur n'a plus cours
on est plus fou et moins avare
on se souvient On dit bonjour
on ne dit plus qu'il est trop tard
et ces rochers qui sont nos rêves
et qu'on avait jugés trop lourds
sont des rochers que l'on soulève
depuis l'amour Depuis l'amour.
©Franz Alias
Derrière une chose l'on trouve
une cachette un coffre-fort
une émotion qui couve
une flopée de corridors
dans une coulée de rimmel
dans une métaphore
sous le tapis sous les semelles
aussi se cachent des trésors
Derrière un bourgeon le printemps
sur une épaule un réconfort
dans un regard un glissement
l'espoir dans une aurore
derrière une chose on déniche
des passeports
dans un poème un acrostiche
dans l'amour Flore.
©Franz Alias
Prendre une feuille
et un crayon
soit qu'on le veuille
ou soit que non
prendre le mot
tel qu'il arrive
le trouver beau
quoi qu'il arrive
Quitter la ville
pour la campagne
pour qu'à dix mille
on s'en éloigne
garder précieux
sous le bureau
du malheureux
mais pas de trop
Prendre un papier
et un stylo
tirer un trait
gommer les maux
et comme l'onde
nettoie la plage
créer un monde
tourner la page.
©Franz Alias