La tasse

 

©Jean Carzou, La Voie ferrée, 1964.
©Jean Carzou, La Voie ferrée, 1964.

Au bar de nuit du Terminus

la serveuse avait des chéries

et quand venait un nouveau gus

les poivrots levaient leur demi

demandaient qu'il soit mieux rempli

et gueulaient en chœur « un de plus ! »

 

Moi j'entendais partir les trains

comme on entend partir les trains

quand on est là devant sa tasse

en attendant qu'un truc se passe

mais au Terminus c'est en vain

qu'on attend qu'un train vous ramasse

 

Si je suis en avance

vous êtes en retard

si vous avez la chance

de croiser mon regard

j'aurai la convenance

de vous laisser m'avoir


Au bar de nuit du Terminus

les poivrots chantaient la romance

c'était pas du stradivarius

c'était pour réchauffer l'ambiance

montrer que la désespérance

l'est moins quand elle est en chorus

 

Moi je regardais le comptoir

je regardais l'homme au comptoir

je n'ai pas terminé ma tasse

moi j'ai bousculé ma carcasse

comme on voudrait parfois savoir

de quel poids on se débarrasse

 

Si je suis en retard

vous êtes en partance

si j'en ai le cafard

c'est que je sais d'avance

qu'il est toujours trop tard

que rien ne recommence

 

Monsieur c'est pour vous que je viens

tous les soirs ici dans ce bar

c'est pour vous voir me voir enfin

quand je suis trop... Quand il est tard

vous qui restez près du comptoir

qui jamais ne... Qui jamais rien...

 

Mais au Terminus c'est en vain

qu'on attend qu'un train vous ramasse

il est parti encor plus loin

il m'a laissée devant ma tasse

il est parti prendre le train

et moi, ben moi... J'ai bu la tasse.

©Franz Alias