Franz retourne une veste /// 8

Avril

 

 

  – Non mais franchement, c'est du grand n'importe quoi, là !

  – What ? répondis-je perplexe.

  – Vous ne croyez tout de même pas vous en sortir comme ça, j'espère ?

  – Comprends pas.

  – Vos bafouilles, vos épisodes, vos feuilletons..., ces torchons que vous me remettez tous les mois, vous n'imaginez pas que le lecteur va pouvoir continuer indéfiniment à les gober, ces âneries ?! N'en avez-vous pas assez de le décevoir ? Vous le prenez vraiment pour un cave ! Et moi avec !

  – J'opterais plutôt pour le deux.

  – Bravo, vraiment, vous êtes au summum.

 

  Il ferma les yeux et se frotta les encoignures. J'en profitai pour me gratter une dent avec un ongle. A part la perspective de lui faire risette, je ne voyais pas trop comment m'en sortir. J'attendais qu'un événement providentiel intervienne en ma faveur. Il semblait néanmoins que j'étais parvenu au maximum du foutage de gueule. Comble de tout, mon boss sous-entendait que le lecteur avait pris la fuite. En revanche, j'avais prévenu dès le début. On applaudit l'arnaque. Il était évident, du moins pour moi, que c'était du haut de mon siège de bureau que j'allais causer de Blois, et non pas en m'usant les espadrilles.

 

  Mais faut bien le reconnaître, huit mois après ma première ponte, l'oeuf n'avait toujours pas éclos. Je me voyais vous vendre ma mayonnaise, que dis-je, mes chefs-d'oeuvre, alangui sur une terrasse méditerranéenne et les pieds dans des tongs, que j'étais alors. Je vous promettais moult péripéties blésoises, des rebondissements de seconde zone, des traquenards et du rêve. Il fallait se rendre à l'évidence : l'épisode tant attendu était constamment remis au prochain. Ceci dit, à part mon commanditaire et parfois un petit brin de ma conscience, qui s'en souciait ? Le chat que vous êtes, cher lecteur, avait d'autres compatriotes à fouetter.

 

  J'arrivais tant bien que mal à la dernière limite de la fin du huitième mois et rien encore ne paraissait indiquer qu'un changement s'opérât : en somme, le gribouilleur que j'étais n'avait toujours rien à vous dire. Ce qui d'ailleurs semblait désopiler mon boss. L'avait même l'air furax, à juger ses sourcils et leur froncement.

 

  – Ecoutez, franchement, quelle importance, tout ça ? lui répondis-je. Pensez pas que le lecteur s'en contrefout un peu, de tous ces blablas inutiles ? Vous ne croyez tout de même pas qu'après trois ou quatre phrases, il aura l'audace de poursuivre ? Mais saperlipopette, de qui se moque-t-on ? Voyez donc, à la ligne où nous en sommes, il n'y a plus que nous deux à nous préoccuper de la suite.

  – Là je vous soupçonne de gagner du temps !

  – Exak. Il suffit de voir qu'il y a plus de dix lignes à lire pour qu'aussitôt on passe à autre chose. Ne soyez pas si naïf, patron.

  – Ne sous-estimez pas votre prochain ! Pour qui vous prenez-vous, à la fin ?

  – Ok. On va faire une expérience : je vais reprendre quelques phrases écrites plus haut et mélanger la sauce, et vous verrez qu'ils n'y verront que du feu, et pour cause !

 

 

  « Il fallait se rendre à l'évidence : la mayonnaise avait pris. Et rien encore ne paraissait indiquer qu'un rebondissement de seconde zone intervienne. Huit mois après moult périphéries blésoises, du haut de mon siège de bureau, je ne voyais pas trop comment ma mayonnaise allait décevoir mon lecteur. Après trois ou quatre phrases, faut bien le reconnaître, on applaudit. Et l'épisode tant attendu était au summum.

  – Vous sous-estimez vos bafouilles, vos épisodes, vos feuilletons. J'espère que le chat que vous êtes aura l'audace de poursuivre.

  – Un petit brin de ma conscience s'en contrefout, de tous ces blablas inutiles, lui répondis-je. En revanche, mes chefs-d'oeuvre, je vous soupçonne de continuer indéfiniment à les gober.

  Il ferma les yeux avec un ongle et se frotta une dent. J'en profitai pour me gratter les encoignures. Du grand n'importe quoi, en somme. »

 

  Mon boss en resta coi. Je n'osai lui répondre what ? Et nous interrompîmes la rigolade.

 

  Vous dire si nous envisagions de la poursuivre, et si j'allais m'en sortir comme ça, à démailloter des phrases et leur retourner la veste, COMME IL SIED A TOUS NOS CANDIDATS ACTUELS, vous le saurez peut-être...

  ... mais au prochain épisode, bien sûr.

 

 

© Franz Alias

 


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