Franz se résout /// 5

Janvier

Illustration © Flore Betty

  Ainsi l'or, la myrrhe et l'encens me furent indirectement offerts lors de ma précédente aventure [ici]. Après moult réflexions, objections et gamberges sur ce que je pouvais bien en faire (je n'allais tout de même pas les placer sur un compte bloqué pendant dix-huit ans), j'eus l'idée en ce début de janvier, et part là même, début d'année, de me résoudre à en faire don. N'était-ce pas de circonstances ? Le tout étant de savoir si s'y résoudre signifiait « se résigner à » ou « décider de » ...

 

  Je suis bien navré, cher lecteur, de vous mettre le doigt dans une alternative bien sensible.

 

  Or donc je décidai de me pencher sur mon cas – qu'il soit de conscience ou non, qu'il soit universel ou pas – afin de mettre en pratique une bonne fois pour toutes un certain nombre de bonnes résolutions...

 

  C'est donc auréolé d'humaines intentions que j'offris l'encens à mon patron – histoire de lui rappeler que sa divinité restait toute relative et, à l'échelle industrielle, bien temporelle. Il s'en accommoda fort mal et me pria de la lui mettre ailleurs. Ce que je n'osai point faire par souci de propreté.

 

  La myrrhe, je l'offris également à mon patron. Est-il nécessaire de vous rappeler que la myrrhe est le symbole de la souffrance, et donc de l'humanité ? Il me semblait donc bien opportun de lui en faire don – histoire pour le coup de lui rappeler son humaine condition, homme parmi les hommes, égal de moi-même et des autres, petit grain de poussière mélangé à sept milliards d'autres petits grains de poussière, et formant à nous tous la beauté et la force de la fourmilière qu'est le peuple de la Terre... Il me traita de communiste, et n'en pas voulut.

 

  Point vexé par tant d'amères considérations, je décidai, gonflé d'abnégation et autre naïveté, de lui offrir l'or. C'est le monde à l'envers, me direz-vous. Offrir de l'or à son patron ! c'est du bénévolat. Non pas. C'est de l'ironie. Ou une antiphrase. Ou peut-être l'expression de ma primitive volonté de lui faire comprendre que la royauté et le pouvoir matériel qu'il incarnait n'étaient qu'illusion, utopie, ou vérité à corriger ? Contre toute attente, il l'accepta.

 

  Ainsi, joyeux comme un pinson, je partis user mes cordes vocales sur les trottoirs – oh les jolis trottoirs – de ma jolie petite bourgade – oh qu'elle est jolie ma petite bourgade – jusqu'à ce que je me rende compte que je venais de perdre ma prime de fin d'année. Je te jure, quel con je fais. Bah, peu importe, mon âme est plus légère et je navigue désormais parmi les petites fleurs et les petits oiseaux de la généreuse bonté humaine qui tant nous fait défaut le reste de l'année. Youpi youpi (bordel).

 

  Mais quoi ? Serait-ce tout ? Nos bonnes résolutions se réduiraient à offrir à un prochain plus ou moins nôtre quelques présents précédemment offerts ? C'est un peu maigre mon vieux, comme principe. Le don mérite un peu de sacrifices, tout de même.

  D'accord. Offrons notre chemise et sacrifions notre confort ! Supprimons nos petites victoires sur l'autre ! Débarrassons-nous du superflu qui alourdit nos godasses ! Aérons nos poumons de nicotine et nos estomacs de saindoux ! Lâchons du lest ! Libérons-nous ! Soyons généreux envers les autres et guérissons ce monde en perdition en commençant par l'entourage ! Allez ! Go ! Cours, vole, va, petit zorro.

 

  Il faut vous dire qu'ici, lorsque l'on sautille sur les trottoirs tandis que la populace regarde ses pieds, on passe vite pour un allumé. Tout juste si la marée-chaussée n'intervient pas. Dis donc petit blanc, tu vas baisser tes yeux, hein, concentre plutôt ton attention sur la merde qui jalonne ta route : la beauté du ciel n'est faite que pour l'élite dont tu n'es pas. Et tu es prié de garder dans ta bouche ce vocabulaire ordurier (don, partage, soutien, aide, écoute, accueil,...) qui risque de mettre des bâtons dans les roues du rouleau-compresseur que nous sommes. Je te rappelle que tu dois faire des sacrifices uniquement pour notre compte. Regarde bien ce doigt que je lève, petit blanc, ta seule obligation est de faire en sorte que je ne le pointe pas sur toi.

 

  – Oui, oui, pardon patron, je le ferai plus.

  – Va en paix, mon petit, ma Grandeur te pardonne. Pour cette fois.

 

  Vous m'excuserez donc, cher lecteur, de n'être pas plus grand que vous, d'avoir cru une seconde pouvoir vous faire rêver, de n'être qu'un parmi tant à baisser la tête, de ne penser qu'à mon petit confort, de vous oublier, de ne vivre mes révolutions que dans la littérature ou les histoires d'un passé révolu, et de faire béééééé quand je devrais faire rrrrrrouhaou.

 

  Mes bonnes résolutions de cette nouvelle année, je continuerai de les entretenir intérieurement, de rêver seulement de leur donner vie, et peut-être, tout comme vous, aurais-je la force et le courage, tout poing serré, de les mettre en application l'année prochaine...

 

  ... ou au prochain épisode, bien sûr.

 

 

© Franz Alias

Illustrations © Flore Betty

 


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