Pour peu que l'on soit ivre

 

©Flore Betty
©Flore Betty

Seul dans les toilettes des mâles

j’avais des poches sous les yeux

les traits tirés et le teint pâle

les mains sur le lavabo sale

je crachais dans le siphon creux

une symphonie gutturale

 

Je suis retourné dans la salle

le barman avait l’air furieux

afin d’échapper à ses râles

on a troqué pour deux cents balles

l’épais brouillard du bar fumeux

pour celui de la capitale

 

Quand la nuit fraîche a sur les berges

mis son tapis de givre

quand les étoiles sont des cierges

dieu qu’il est bon de vivre

les mains dans l’eau froide on s’asperge

pour peu que l’on soit ivre

 

Je suis allé chanter victoire

au milieu du pont suspendu

– pourquoi l’eau est-elle si noire

– c’est la Scène et non pas la Loire

debout sur le bollard ventru

et bavant m’as-tu répondu

 

Alors il s’est mis à pleuvoir

on a gueulé tant qu’on a pu

en injuriant cet arrosoir

tu ne m’as pas dit au-revoir

au bord tu m’as dit – Oh j’ai chu

et je ne t’ai plus jamais vu

 

Quand la nuit fraîche a sur les berges

mis son tapis de givre

quand les étoiles sont des cierges

quand on veut les poursuivre

dans l’eau glacée le corps s’immerge

pour peu que l’on soit ivre

©Franz Alias